[autom.vertaling] De toespraak Michel: " Is Europa aan een onderhoudsbeurt toe? " (Fr) (fr)

dinsdag 25 april 2006

Louis MICHEL

Commissaire européen au Développement et à l'Aide humanitaire 

1.

«L'Europe, en panne de projet?» 

Les Mardis d'EUR-IFRI

Bruxelles, 25 avril 2006

Mesdames, Messieurs,

Merci à Pierre Defraigne d'avoir organisé ce débat et de m'avoir invité à l'introduire.

Nous le savons tous : L'Europe traverse une crise de légitimité politique dont les référendums français et néerlandais sur le traité constitutionnel sont les symptômes. En juin prochain, le Conseil européen doit faire le bilan de la « pause réflexion » ouverte l'année passée suite à ces referenda. Nous avons tous bien vu la pause, manque encore la réflexion. La Présidence autrichienne a donc invité la Commission à présenter ses idées pour nourrir la réflexion des Chefs d'Etat et de Gouvernement. Fin de cette semaine, les 25 Commissaires vont se pencher sur cette question lors d'un séminaire. J'ai donc l'intention de profiter de ce débat pour exprimer le fruit de ma propre réflexion !

Mais je commence par vous donner quelques idées à ce sujet.

Commençons par le constat : Les citoyens semblent manquer de repères clairs sur la dimension politique, et sur la dimension géographique de l'Union européenne.

L'élargissement aux 10 nouveaux Etats membres, la perspective de l'adhésion de la Turquie et la difficulté des Etats membres de se mettre d'accord sur le financement du projet européen sont autant d'éléments qui alimentent l'appréhension des citoyens.

Cette crise de légitimité politique se combine avec une crise économique et sociale dans de nombreux Etats membres. L'absence de repères sur le projet européen se double chez les citoyens d'une incertitude sur leur avenir. Et c'est précisément sur ce sentiment de peur que parient les euro-sceptiques, qui font de l'Europe le bouc émissaire de tout ce qui fonctionne mal (bien aidés par la plupart des gouvernements).

Certains Etats, incapables d'assurer les réformes que justifieraient pourtant nos problèmes économiques, diabolisent l'Europe. Celle-ci est alors perçue comme un agent de la mondialisation, bien plus que comme un outil de sa gestion. D'autres instrumentalisent la crise à des fins politiciennes et tentent de faire croire que le « modèle européen », le modèle gagnant qui a porté le « rêve européen», est la cause de la crise.

Alors que nous sommes occupés à douter de nous-mêmes, le reste du monde rêve de l'Europe. J'ai pu le vérifier tout au long des mes voyages aux quatre coins du monde : le « rêve européen », vu de l'étranger c'est un modèle politique et socio-économique harmonieux où prévaut un équilibre unique entre responsabilité et épanouissement individuels, d'un côté et cohésion et redistribution sociales de l'autre ; où le bien-être et le progrès s'expriment en termes de qualité de vie et d'acquis sociaux, et non de simple accumulation de richesses matérielles.

L'Europe est une des rares utopies de l'histoire qui se soit réalisée. C'est un succès éclatant. Les pères fondateurs de l'Europe ont réussi le pari fou de la paix, de la prospérité et de la sécurité. Là est la véritable valeur ajoutée de l'Europe. Les Européens considèrent désormais la paix comme un acquis. Mais ils oublient que cet acquis est récent, et qu'il reste fragile. Le Président José Barroso i me disait l'autre jour qu'à 17 ans, il ne pouvait pas lire les livres qu'il voulait à cause de la dictature dans son pays, le Portugal. Je voudrais aussi rappeler que le mur de Berlin est tombé il y a à peine 15 ans, et que le massacre de Srebrenica est encore plus récent. Cette tragédie majeure du XXème siècle ne serait plus possible aujourd'hui avec le projet d'élargissement de l'Europe.

Les citoyens européens ont aussi oublié l'incroyable prospérité dans laquelle ils vivent. Parce qu'au fil du temps, le lien qui existe entre l'économique et le social a largement disparu dans leur esprit. Ils ont fini par oublier que les acquis sociaux sont principalement le fruit d'une économie performante.

Ils ont aussi oublié que la protection sociale ne peut être que la conséquence du travail, de la responsabilité et d'une démocratie vivante, libérée, et, j'ose le dire, libérale.

Notre modèle de société est en ce moment confronté à des défis qui menacent l'intégrité de notre tissu social, comme Pierre Defraigne l'a décrit d'une manière si éloquente dans un article récent. L'accélération des progrès technologiques, les bouleversements dans la division internationale du travail suite à la montée soudaine et rapide de la Chine et de l'Inde dans l'économie mondiale, le vieillissement de nos populations : tout ceci met en cause notre modèle de société fondé sur un équilibre entre liberté d'entreprise et progrès économique, d'une part, justice sociale et solidarité d'autre part.

Face à ces défis, il y a deux attitudes possibles.

Ou bien le politique continue à laisser croire aux citoyens que l'on peut conserver le welfare state en l'état. Et il évite de parler du vieillissement de la population. Cela alors que 4 actifs couvrent aujourd'hui un inactif, et qu'ils ne seront plus que deux en 2050... Que les charges sur le travail risquent de doubler si on ne trouve pas de nouveaux financements pour assurer les fonctions essentielles de l'Etat.

L'autre attitude, lucide et courageuse, consiste à redéfinir avec les citoyens un nouveau contrat en posant les questions fondamentales. Ne doit-on pas demander à nos concitoyens d'être plus flexibles et de travailler plus longtemps ? Pourrons-nous encore financer la sécurité sociale sur l'impôt sur les revenus du travail ? Ne faut-il pas faire contribuer plus d'autres revenus, l'impôt sur les sociétés, la consommation, le patrimoine voire la pollution?

La crise actuelle de l'Europe appelle donc un projet politique qui redonne des repères, qui fixe un cap aux citoyens. Pour y arriver, il faut un nouveau contrat pour l'Europe - un projet politique concret, et non pas un projet institutionnel. Pas une « Europe des projets » (qui ressemble trop à une « Europe des gadgets »), mais bien « Un projet pour l'Europe », un projet qui est capable de recréer le récit qui assure la lisibilité de l'action européenne. Un projet qui recrée la confiance des citoyens. Et qui leur rappelle le credo originel du projet européen : sans croissance, l'Europe perd toute crédibilité ; sans solidarité, elle perd toute légitimité.

La Commission Barroso a en fait déjà posé les jalons d'un tel projet :

  • Le renouvellement de la Stratégie de Lisbonne, focalisée sur le croissance et l'emploi (même si à l'avenir il va falloir être moins gentil aves les Etats-membres et les soumettre à une vraie surveillance multilatérale),
  • la révision du Pacte de Stabilité et de Croissance,
  • la Directive services révisée,
  • la Directive sur la portabilité des droits de pensions,
  • le Fonds d'ajustement à la mondialisation,
  • l'initiative pour un « European Institute of Technology »,
  • une nouvelle stratégie européenne en matière énergétique,
  • la mise en oeuvre du programme ambitieux de La Haye pour la justice, la liberté et la sécurité,
  • la projection extérieure de nos valeurs, avec l'engagement de doubler l'assistance de l'Union européenne en faveur des pays en développement et l'adoption d'une stratégie pour l'Afrique ;
  • le consensus européen sur le développement, premier véritable cadre stratégique sur lequel s'accordent toutes les institutions ;
  • le renforcement de nos partenariats avec nos alliés stratégiques comme les Etats-Unis ou la Chine et l'Inde ;
  • l'ouverture de négociations d'adhésion avec la Turquie et la Croatie.
  • Et, après beaucoup de difficultés, enfin un accord, même si il ne répond pas à toutes nos ambitions, sur le financement de l'Europe entre 2007 et 2013.

Tout ceci sont des éléments clés d'un projet de maîtrise de la mondialisation. Mais le marketing, comme souvent à la Commission, a été assez nul, il faut l'admettre.

Nous sommes particulièrement habile quand il s'agit de confondre objectifs et moyens : au lieu de parler de notre vision d'une société prospère et solidaire, nous parlons de la compétitivité et du « better regulation » - et nous nous étonnons que les citoyens sont désenchantés par cette Europe qui se présente d'une manière si bureaucrate, sans âme. Personne ne tombe amoureux de la compétitivité !

Quand on parle croissance, il faut donc bien dire que c'est au service de plus de prospérité et de solidarité.

De la croissance pour les solidarités 

Le contrat européen en matière de croissance est simple : il s'agit d'activer tous les leviers possibles pour permettre une relance vigoureuse et durable de la croissance, condition nécessaire pour soutenir nos systèmes sociaux. Le message de la Commission BARROSO aux Etats membres dans le cadre du sommet informel de Hampton Court est qu'il y a urgence à agir, non pas dans la précipitation mais avec résolution et cohérence.

Cela suppose, comme dans tout contrat, de bien préciser les responsabilités des uns et des autres dans l'accomplissement de cet objectif commun de croissance.

Pour ce qui la concerne, la Commission a lancé des propositions pour dégager des marges de croissance par l'approfondissement du marché intérieur, et j'en vous ai cité quelques-uns. Notre contribution pour Hampton Court en décrit d'autres.

Dans un avenir proche, il faut s'attaquer à d'autres questions :

  • Il s'agit de favoriser la créativité pour faire aboutir le projet de brevet européen et ce faisant faciliter les créations d'entreprises innovantes.
  • l'encadrement macro-économique des réformes structurelles que les Etats membres doivent mener : Nous avons le devoir d'utiliser le Pacte de Stabilité révisé et les possibilités de primes aux réformes qu'il permet. Mais nous avons aussi le devoir de faire respecter le Pacte par tous les Etats, les grands comme les petits, en dialoguant ouvertement avec la Banque centrale européenne.
  • le redéploiement au sein du budget européen entre les différentes politiques pour que le budget reflète davantage les priorités politiques. De quoi s'agit-il ? D'un screening serré du budget pour identifier les domaines prioritaires. Ce sera bien sûr un exercice assez douloureux. Mais il faut concentrer nos moyens financiers sur nos priorités politiques. La clause de rendez-vous de 2008/2009 nous donnera l'occasion de le faire.

Les Etats membres ont aussi leurs obligations. Ils sont non seulement les garants de ce contrat mais aussi et surtout les acteurs principaux, les débiteurs principaux parce qu'ils disposent des leviers pour créer plus de croissance et plus d'emplois. Mais la Commission, par son action dans les domaines que je viens d'évoquer, peut aider à créer les conditions qui permettent aux Etats-membres de mener à bien le grand chantier des réformes nécessaires mais douloureuses des marchés de travail, des systèmes de fiscalité, et des systèmes sociaux.

Toute cette stratégie de croissance n'a, à mes yeux, de sens que si elle s'accompagne d'une stratégie sociale.

A ce propos, je voudrais toute de suite réfuter la dichotomie que beaucoup semblent vouloir imposer : à l'Europe la mission économique, aux Etats les missions sociales. Il est temps de lever les malentendus entre l'Europe et le social.

Ce malentendu est double. Il y a ceux qui considèrent que l'Union est un super-Etat qui devrait faire du social comme on en fait au niveau national. C'est évidemment une erreur.

Mais il y a aussi ceux qui considèrent que certains modèles nationaux ne sont pas financièrement soutenables et qu'il appartient à l'Union de remettre les Etats concernés sur le droit chemin en poussant à une réduction des dépenses.

Cette instrumentalisation de l'Europe est inacceptable parce qu'elle alimente un double rejet du processus d'intégration. Les uns le rejetteront au nom des atteintes qu'il porterait aux droits sociaux et, les autres, en raison de la remise en cause des souverainetés nationales qu'il induirait.

Y a-t-il un modèle social européen ? Il y a plusieurs formes de modèle social en Europe. Mais ce qui est vrai c'est qu'il y a une culture sociale, une vision commune des droits sociaux des citoyens.

Je ne suis pas de ceux qui voudraient définir un modèle social unique pour tout le monde. Ce serait totalement irréaliste. Par contre, je suis convaincu que nous pouvons dégager un consensus fort sur un socle de droits sociaux qui se traduisent par des politiques qui garantissent pour le citoyen :

  • l'accès à l'éducation 
  • l'accès à la santé 
  • l'accès à l'administration 
  • l'accès à la justice 
  • et le droit à la sécurité physique, alimentaire et environnementale.

En vertu du principe de subsidiarité bien compris, il appartient à l'Etat de mettre en ouvre ces objectifs ; chacun selon ses modalités et son histoire.

Un tel socle permettrait à la fois la convergence de ceux qui sont en retard et la poursuite des avancées de ceux qui le souhaitent.

Ce socle de garanties sociales est impératif pour éviter que la diversité des valeurs ne se transforme en mise en concurrence des valeurs et des Etats. Cela vaut pour le temps maximal de travail, mais aussi pour les questions fiscales. Peut-on vraiment faire l'économie d'une convergence au niveau européen, par exemple pour encadrer un glissement de la taxation directe vers les impôts indirects? Je parle de convergence et non d'harmonisation stricte des taux d'imposition. Il faut commencer par davantage coordonner la base taxable, l'assiette, de l'impôt sur les sociétés.

De la sécurité pour nos libertés

Le second volet du contrat pour l'Europe concerne la sécurité.

Celle-ci est un véritable concept transversal de réflexion qui doit être approfondi. Elle doit être comprise désormais dans un sens large qui dépasse la sécurité physique et englobe la sécurité alimentaire, la sécurité sanitaire, la protection de l'environnement et le développement durable de notre planète. Ce sont tous des générateurs de peur. Il faut donc y répondre.

C'est incontestablement dans ce domaine que l'Europe semble, aujourd'hui, avoir la valeur ajoutée la plus importante et la moins contestable aux yeux des citoyens européens comme l'illustre les débats qui se développent après chaque catastrophe (sanitaire, terroriste, aérienne). Répondre à cette demande de protection tout en renforçant les droits et libertés des citoyens européens, c'est le défi à relever.

La première orientation consisterait à faire de la sécurité un droit concret pour les citoyens européens au même titre que la libre circulation ou la solidarité.

Il faudrait pour ce faire prolonger certaines actions déjà entreprises (contrôles aux frontières, lutte contre le terrorisme et la propagation de la violence) tout en faisant de la sécurité au sens large une composante affichée des principales politiques.

La sécurité peut guider les règles du marché intérieur (règles financières, protection de la vie privée, normes industrielles et environnementales), de la politique commerciale (défense contre toutes les formes de dumping, lutte contre la fraude), du développement technologique et de l'innovation (recherche fondamentale sur les thèmes liés à la santé publique, intelligence économique) mais aussi d'énergie avec la sécurisation des approvisionnements et la réduction de la dépendance extérieure (reste le problème que les Etats membres refusent toujours la mise en commun de leurs stocks de gaz et de pétrole).

L'UE doit par ailleurs poursuivre le processus de consolidation de son influence internationale afin de maîtriser/d'influencer les principaux phénomènes globaux qui peuvent affecter le bien-être de nos citoyens européens : notamment lutter contre les pandémies, phénomènes climatiques, mouvements migratoires incontrôlés, trafics illégaux, etc... Elle a un rôle majeur à jouer dans l'aide au développement et la contribution de la réalisation des objectifs du millénaire.

On ne dit pas assez l'extraordinaire progrès de sécurité que représente l'élargissement pour l'Europe. Par la politique de l'élargissement, nous nous assurons l'extension de la paix, de la démocratie et de l'ouverture des marchés. Il n'y a quasiment aucun espoir de stabiliser les Balkans, par exemple, si l'on supprime la perspective de l'accession à l'UE. Il serait désastreux que de nouveaux conflits éclatent dans cette région. L'UE subira une perte massive de son influence géopolitique potentielle si elle décide de laisser la Turquie à la périphérie. Elle perdra aussi son projet d'une Europe ouverte et cosmopolite.

  • La deuxième orientation doit avoir pour objectif de renforcer les droits et libertés des citoyens européens par un ensemble de mesures spécifiques, qui consacrent le concept de société ouverte.

Réconcilier les citoyens avec le projet européen implique un travail pédagogique et de communication essentiel des responsables européens et nationaux sur la valeur ajoutée de l'Europe.

Mesdames, Messieurs,

Pour conclure, laissez moi vous faire part de mon optimisme et rejeter la sinistrose européenne ambiante : si la crise actuelle est profonde, je suis convaincu qu'un projet politique volontariste, un nouveau contrat tel que je vous l'ai exposé, basé sur les deux axes : croissance pour les solidarités et sécurité pour nos libertés, peut remettre l'Europe sur les rails et ramener la confiance des citoyens dans le projet européen. La Commission Barroso se trouve à un moment charnière de sa vie politique : jusqu'à maintenant, nous avons essentiellement travaillé sur base d'un agenda hérité de nos prédécesseurs - un agenda, que cette Commission ne s'est approprié que partiellement. Maintenant, nous devons construire un agenda positif pour les prochaines années. Et je crois que les réalisations des derniers mois (l'esprit du sommet de Hampton Court, la relance de la stratégie de Lisbonne, le consensus lors du dernier Conseil européen sur les propositions de la Commission dans le domaine énergétique et autres, la révision de la directive services ou encore l'accord sur les Perspectives financières) nous donnent la base politique pour le faire.

Et quid de la question institutionnelle dans ce contexte, vous allez me demander ? A mon avis personnel, les institutions sont au service du projet politique, et pas l'inverse.

L'histoire de l'intégration européenne montre bien que les avancées institutionnelles ont été possibles quand elles ont été clairement associées à un projet politique. Donc, parlons d'abord contenu politique, utilisons toute la marge des Traités actuels pour le mettre en ouvre, et voyons en fonction du projet quels sont les changements institutionnels nécessaires pour sa réalisation. Je crois qu'à ce moment, le Traité constitutionnel sera une source d'inspiration très importante pour l'avenir.

Je vous remercie