Speech - "Transition politique vs Transition économique: fondement pour le développement futur"

Met dank overgenomen van Europese Commissie (EC) i, gepubliceerd op maandag 8 september 2014.

Commission européenne

[Seul le texte prononcé fait foi]

Michel BARNIER

Membre de la Commission européenne, chargé du Marché intérieur et des Services

"Transition politique vs Transition économique: fondement pour le développement futur"

Conférence Internationale « Investir en Tunisie: Start-up Démocratie »

Tunis, le 8 septembre 2014

Monsieur le Chef du gouvernement,

Messieurs les Ministres,

Cher Philippe de Fontaîne Vive,

Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi tout d'abord de remercier, en mon nom et en celui du Président José-Manuel Barroso et de Catherine Ashton, Haute Représentante pour la Politique extérieure, le gouvernement tunisien pour cette invitation et la qualité de votre accueil. Je salue également l'ensemble des États membres et leurs représentants, au premier rang desquels figure le Premier Ministre français Manuel Valls et le Ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius.

Je me souviens de ma dernière visite en Tunisie, à l'automne 2011, quelques mois après la révolution de janvier, et je suis heureux aujourd'hui de pouvoir mesurer le chemin parcouru par votre pays grâce à sa culture d'ouverture et à son attachement sans faille aux valeurs de tolérance et de liberté.

Dire cela, ce n'est pas prétendre que tout a toujours été facile depuis trois ans et demi. La Tunisie fait face à de nombreux défis et la route est sans doute encore longue et semée d'embûches, mais je veux saluer ici la formidable capacité du peuple tunisien et de ses dirigeants à faire face à ces difficultés par le dialogue.

Le pays dispose désormais d'une feuille de route vers la mise en place d'institutions démocratiques et de gouvernance stables.

C'est par le dialogue qu'a été possible l'adoption à une très large majorité d'une Constitution moderne, la première qui consacre de nouvelles libertés et la parité entre les Hommes et les Femmes dans les assemblées élues.

C'est aussi grâce à cet esprit de dialogue et de débat ouvert que tout est en train d'être mis en place pour faire des élections de cette fin d'année la preuve de la vigueur de la démocratie tunisienne naissante.

Cela dit, Mesdames et Messieurs, pour que cette transition politique soit durablement réussie, la Tunisie doit aussi réussir sa transition économique, qui mérite également un dialogue national.

Nous saluons le programme de redressement économique engagé par le gouvernement de transition avec le rétablissement des finances publiques et des comptes extérieurs, l'amélioration de l'environnement des affaires, les réformes structurelles et le programme de développement des infrastructures.

Les engagements concrets à court et moyen termes du gouvernement inclus dans ce document, notamment en termes de rationalisation des dépenses publiques, d'amélioration du climat des affaires et de restructuration du secteur financier sont encourageantes et méritent d'être soulignés. Les mesures qui y sont détaillées constituent en effet des conditions sine qua non à la restauration de la stabilité macroéconomique et à la reprise de l'investissement privé et à une accélération de la croissance et des créations d'emplois.

L'importance des réformes du secteur financier, de par leur impact sur l'accélération de la croissance, mais également sur sa stabilité ne doit pas être sous-estimée. A cet égard, l'agenda de travail du G20 qui vise à tirer les leçons de la crise financière concerne également les pays de la région. Disons les choses clairement. Cette crise financière a cassé la croissance. Comme Vice-président de la Commission européenne chargé des services financiers, j'ai veillé à reconstruire un système financier solide. J'ai présenté devant le Parlement européen et le Conseil, pas moins de 41 textes visant à réguler le système financier pour qu'aucun produit, aucun acteur ou marché ne puissent échapper au contrôle. Je me réjouis de constater qu'un travail similaire est mis en œuvre en Tunisie.

Toutes ces réformes doivent par ailleurs permettre de mettre en valeurs les nombreux atouts de la Tunisie pour les investisseurs étrangers : sa main d'œuvre qualifiée, sa situation géographique stratégique, au carrefour entre la Méditerranée, le monde arabe et l'Afrique en pleine croissance, ses nombreux accords de partenariat internationaux qui facilitent les échanges, ses infrastructures et ses services favorables à l'investissement.

Elles doivent aussi permettre à la Tunisie de relever un certain nombre de grands défis, dont certains sont communs à l'Europe. Si vous le permettez, je voudrais évoquer ce matin quatre de ces défis.

I - La formation et l'emploi des jeunes

N'oublions pas le rôle moteur joué par la jeunesse dans la révolution tunisienne. La liberté démocratique et l'emploi sont les 2 faces de la même dignité.

Or, trop souvent, l'emploi reste inaccessible aux jeunes. Dans l'Union européenne, plus de 5 millions de jeunes de moins de 25 ans sont au chômage. En Tunisie, où la part des jeunes est bien plus importante qu'en Europe, de nombreux jeunes diplômés ne trouvent pas d'emploi qui corresponde à leurs compétences.

Il est urgent de prendre des mesures pour redonner espoir aux jeunes et relever le potentiel de croissance de nos économies. Beaucoup de pays d'Europe font actuellement des réformes pour alléger le coût du travail, réduire les rigidités sur le marché de l'emploi et en faciliter l'accès aux jeunes, notamment grâce au développement des systèmes d'apprentissage et de formation professionnelle.

Nous devons aussi mettre en œuvre notre partenariat pour la mobilité et développer davantage de partenariats entre nos universités, comme c'est le cas dans le cadre du nouveau programme Erasmus+, tout en mettant l'accent sur la préparation de nos jeunes aux emplois de demain, dans le cadre d'une nouvelle ambition industrielle pour nos pays.

II - La politique industrielle

Voilà un autre domaine où les dynamiques à l'œuvre en Tunisie et en Europe sont très différentes, mais où nos objectifs sont largement communs. L'Europe doit inverser le recul de son industrie, qui est passée en l'espace de 15 ans de 20% à 15,2% du PIB. Quant à la Tunisie, elle doit attirer davantage d'industries sur son territoire pour accompagner son développement économique.

Pour cela, la première exigence est de bâtir un écosystème favorable à l'industrie, ce qui passe en Tunisie par la poursuite des efforts engagés pour développer le réseau d'infrastructures, garantir la sécurité et l'indépendance de la justice, améliorer l'environnement fiscal et développer le secteur des services aux entreprises.

Je souhaiterais dans ce contexte évoquer le projet de traité de libre-échange complet et approfondi, l'ALECA. Je sais la sensibilité de ce sujet, notamment pour les organisations syndicales. Une sensibilité comparable à celle des syndicats européens concernant l'accord de libre-échange actuellement en discussion avec les États Unis, compte tenu des conséquences possibles en matière d'emploi d'une ouverture douanière et tarifaire. Je tiens à souligner ma conviction que la nouvelle Commission du Président Jean-Claude Juncker et du prochain Commissaire chargé du Commerce travaillera pour la conclusion d'un accord gagnant-gagnant permettant aux deux parties de profiter de retombées positives d'un tel accord.

En Tunisie comme en Europe, nous devons accompagner ces mesures horizontales d'une ambition industrielle plus verticale, en encourageant les investissements dans certains secteurs clés. Vous en avez identifié certains dans vos documents stratégiques, comme le tourisme, le textile, la santé, l'électronique ou l'automobile, sans oublier les domaines qui nous permettront de préparer l'avenir.

Je pense en particulier à la réalisation de la "Tunisie numérique", qui est un secteur essentiel pour le développement économique et politique de nos sociétés et une source d'emplois importantes pour nos jeunes diplômés, et à l'énergie, qui est un enjeu économique, mais aussi une condition de notre liberté dans le monde de demain. Là aussi, vous avez développé une stratégie cohérente.

III - Le financement des réseaux et des infrastructures

Pour développer notre industrie, réussir la transition écologique et bâtir des infrastructures modernes, nous avons besoin d'investissements de long terme.

Cela nécessite de réfléchir aux moyens d'utiliser les sources publiques de financement de manière innovante comme nous l'avons fait en Europe avec les "project bonds" lancée en partenariat avec la Banque européenne d'investissement pour aider les porteurs de projets d'infrastructures énergétiques, numériques et de transport à mobiliser des fonds privés supplémentaires auprès d'investisseurs institutionnels.

Mais nous avons surtout besoin d'investissements privés, ce qui nécessite pour la Tunisie de mettre en place un système bancaire solide et stable, dans lequel les citoyens et les entreprises puissent avoir confiance, et de développer un véritable marché des capitaux, qui joue un rôle moteur dans le financement des nombreuses PME tunisiennes.

Je n'oublie pas non plus la microfinance qui, en Europe comme en Tunisie, doit aider les porteurs de petits projets, les "business around the corner", mais qui font vivre les territoires et permettent à des jeunes, à des populations défavorisées (chômeurs, femmes…) de créer de l'activité. En Europe, un projet soutenu par la microfinance crée en moyenne 3 emplois. Il conviendra en outre de porter une attention particulière aux nouvelles formes que revêt l'économie comme l'entrepreneuriat social. En Europe, une entreprise nouvelle sur 4 qui est créé releve du secteur social et solidaire.

IV - La géopolitique

Enfin, puisque nous parlons de stabilité, je voudrais mentionner un dernier défi commun, qui est peut-être le plus immédiat : le défi géopolitique.

L'Union européenne et la Tunisie ont en commun d'avoir à leurs frontières des foyers d'instabilité. En Europe, beaucoup d'attention est portée aujourd'hui vers l'Ukraine qui constitue un défi pour l'ordre international. Mais ce n'est pas une raison pour accorder moins d'attention à la rive Sud de la Méditerranée, et en particulier à la Libye, dont la situation instable représente un défi particulier pour la Tunisie.

En Libye, votre voisin, mais aussi à Gaza et en Syrie ou encore au Sahel, il y a dans votre voisinage qui est aussi le nôtre, tant de raisons de travailler pour promouvoir la paix et la stabilité. La stabilité politique vient bien sûr de la démocratie, mais aussi des progrès économiques.

Mesdames et Messieurs,

Je sais que l'Union européenne peut donner l'impression, en ce moment, de regarder davantage vers sa frontière Orientale que vers son voisinage Sud, je suis venu vous dire que nous sommes et nous restons très attentifs à tout ce qui se joue aujourd'hui sur cette rive ci de la Méditerranée, en particulier en Tunisie.

Voilà pourquoi nous avons doublé notre aide financière (à 435 millions €) et sommes engagés dans la mise en oeuvre de centaines de projets. Quelques exemples: le réseau ferroviaire rapide de Tunis, la réhabilitation de 119 quartiers sensibles dans toute la Tunisie. Comme ancien Commissaire à la politique régionale, qui est le 1er poste de dépenses du budget européen, permettez-moi de vous faire une suggestion. Il est important d'avoir des rendez-vous réguliers avec les bailleurs impliqués dans le tour de table pour suivre très concrètement l'avancement des projets. C'est un gage de réussite pour parvenir à suivre les calendriers et surmonter les éventuelles difficultés de mises en œuvre.

Alors que nous nous tournons vers l'avenir, je souhaiterais également souligner - sans donner de leçons comme l'Europe a parfois trop eu tendance à le faire dans le passé, mais simplement en partageant des expériences - l'importance de la constitution d'un marché commun regroupant la communauté des pays du Maghreb pour la prospérité et la stabilité de votre région. Votre présence ici Messieurs les Premiers Ministres du Maroc, d'Algérie à l'invitation de votre homologue tunisien, me conduit à penser qu'il faut renforcer les efforts d'intégration régionale. Comme l'histoire de l'UE le montre clairement, plus encore que l'envie d'être ensemble, le développement de projets et d'institutions communes dépendent de la capacité de susciter le besoin et l'intérêt à agir ensemble. Nous sommes disponibles pour vous y aider, fort de l'expérience de la construction européenne depuis plus de 60 ans maintenant avec le marché commun. L'avenir ici aussi se situe dans la création d'un marché commun méditerranéen entre vous, avec des règles, des politiques communes et une mutualisation de vos économies. C'est là encore un projet d'avenir!

Pour conclure, j'invite les parties ici présentes à investir et à s'investir en Tunisie. Sans doute parce que la Tunisie a ce lien si privilégié avec l'Europe et ses partenaires en Méditerranée. Mais aussi en raison de ses nombreux atouts propres que j'évoquais en début d'intervention.

Oui Monsieur le Premier Ministre, voilà un beau projet que celle de "start up" sur lequel l'Union européenne et ses Etats-membres ont déjà le bon sens d'investir et sur lequel nous continuerons de nous engager.

Merci pour votre attention.