Trois volets pour une politique économique ambitieuse, dans l’intérêt de la France et de l’Europe

Met dank overgenomen van Europese Commissie (EC) i, gepubliceerd op dinsdag 17 juni 2014.

Commission européenne

[Seul le texte prononcé fait foi]

Michel BARNIER

Membre de la Commission européenne, chargé du Marché intérieur et des Services

Trois volets pour une politique économique ambitieuse, dans l’intérêt de la France et de l’Europe

Les débats du Mouvement des entreprises de France (MEDEF)

Paris, 17 juin 2014

Chère Anne-Marie Couderc,

Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi tout d’abord de remercier le MEDEF pour cette invitation à m’exprimer devant vous, en ce moment particulier pour l’Europe, trois semaines après des élections marquées par une forte poussée des populismes, en France, mais aussi au Royaume-Uni, au Danemark ou en Italie.

Face à ces partis, et à leurs solutions simplistes - le protectionnisme, la sortie de l’euro, le retour des contrôles aux frontières - il faut apporter deux réponses : le débat public et la croissance. Il faut à ce titre mettre en place les bonnes politiques pour améliorer notre compétitivité et réduire le chômage.

Autant de priorités dont le but est de libérer les énergies et la capacité d’innovation du pays. De lui rendre foi dans son avenir. Et vous, en tant qu’acteurs de la vie économique avez un rôle important à jouer dans la définition de ces politiques économiques.

Ces politiques économiques sont indissociables d’une profonde réforme de nos finances publiques, dont les leviers et le rythme doivent faire l’objet d’un débat ouvert qui fasse appel à toutes les expertises : spécialistes de la gestion publique, économistes, élus, chefs d’entreprise ou membres de think tanks.

Le diagnostic, lui, est déjà largement partagé. Il avait été parfaitement posé en 2005 par les membres de la commission présidée par Michel Pébereau.

A l’époque, le rapport Pébereau s’alarmait d’une dette qui, en 25 ans, était passée d’un cinquième aux deux tiers de notre production nationale annuelle.

La situation ne s’est pas améliorée depuis : 10 ans plus tard, notre dette se rapproche des 100% du PIB [elle devrait atteindre 96,6% en 2015 selon les dernières prévisions de la Commission européenne]. Chaque année, la France dépense près de 50 milliards d’euros pour le service de sa dette ; c’est une dépense irresponsable, qui grève les possibilités d’investissements pour les générations futures.

Certains voient dans cette augmentation de 20 points en 10 ans une tendance inévitable, compte tenu de la nécessité pour les pouvoirs publics d’atténuer l’impact de la crise économique et sociale. D’autres proposent d‘augmenter encore la dette, comme si l’endettement allait engendrer mécaniquement de la croissance.

Plus fondamentalement, les dérapages des comptes publics seraient liés, en France comme ailleurs, à l’impossibilité pour les Etats de mener une véritable politique économique dans un contexte de dépenses publiques incompressibles et de mondialisation subie.

Je le dis clairement : ces arguments fatalistes sont dangereux et faux.

Ils sont dangereux car ils reviennent à légitimer une dette dont une grande partie n’est pas liée à des dépenses d’investissement, et à faire porter aux générations futures le poids de nos dépenses de fonctionnement d’aujourd’hui.

Ils sont faux, car la politique économique ne se limite pas aux dépenses. Si c’était le cas, elle serait effectivement obsolète et impossible. Mais rien n’interdit de mener une politique économique qui concilie réformes structurelles d’envergure et réduction de la dépense publique, tout en maintenant les dépenses d’investissement. En un mot une politique de compétitivité.

Cette vision d’une politique budgétaire reposant sur des objectifs économiques n’est pas utopique. Il faut passer du fatalisme au volontarisme - le volontarisme a permis à la France il y a 20 ans et à l’Allemagne il y a 10 ans de mener cette politique avec succès. Il permet aussi à des pays comme l’Italie et l’Espagne de conduire en ce moment des réformes courageuses.

Je sais bien que le réflexe de beaucoup de responsables politiques et de patrons français est de se comparer à l’Allemagne. Mais nous aurions tort de sous-estimer nos voisins italien et espagnol, dont les produits de milieu de gamme sont souvent en concurrence directe avec les nôtres, et qui ont déjà mené bon nombre des réformes budgétaires et de compétitivité que nous tardons à concrétiser.

Nous ne redresserons pas notre économie en remettant des barrières au sein du marché unique, ou en jouant les intérêts français contre ceux des autres pays de l’Union européenne. La bonne protection n'est pas dans le protectionnisme. Elle est dans l'investissement et la réforme.

Nous redresserons notre économie en menant chez nous les réformes qui s’imposent, sur le plan économique et budgétaire, tout en soutenant les mesures de compétitivité engagées au niveau européen.

Permettez-moi de reprendre ces trois points.

I - Sur le plan économique, nous devons mener les réformes structurelles qui s’imposent pour valoriser nos atouts.

Il n’y a pas de fatalité à la dégradation de notre compétitivité, à la croissance faible et au chômage. Même si d’autres pays européens s’en sortent aujourd’hui mieux que nous Je ne vois aucune raison qui puisse empêcher la France de reprendre sa place parmi les moteurs de l’économie européenne.

Et le but des recommandations proposées début juin par la Commission européenne est de l’y aider, parce que l’Europe a besoin d’une France forte, ce qui nécessite d’accélérer le rythme des réformes. Ces réformes sont bien connues ; elles ont été documentées dans des rapports successifs, le rapport Gallois, le rapport Migaud par exemple, qu’il faut maintenant avoir le courage de mettre en œuvre.

En particulier, il est essentiel de poursuivre et d’amplifier l’effort de baisse du coût du travail, qui reste parmi les plus élevés de l’Union. Les mesures prises avec le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et les nouvelles annonces faites dans le cadre du Pacte de responsabilité et de solidarité ne devraient combler que la moitié de l’écart entre la France et la moyenne de la zone euro en termes de cotisations sociales patronales. Par ailleurs, les montants en jeu [30 milliards d’euros] sont du même ordre que l'augmentation générale de la fiscalité des entreprises enregistrée entre 2010 et 2013.

Cela dit, ces mesures vont dans le bon sens. Elles doivent être mises en œuvre en veillant à ce que l’effet positif de la réduction des charges ne soit pas annulé par de nouvelles mesures fiscales sur les entreprises.

En parallèle, il est urgent de réduire les rigidités sur le marché du travail, et d’en faciliter l’accès aux jeunes qui quittent l’école sans formation ni emploi - un jeune sur 6 est concerné en France, notamment en développant l’apprentissage et la formation professionnelle.

Il y a là aussi un lien avec les charges qui pèsent sur le travail, en particulier pour les bas salaires. C'est un chantier majeur pour notre pays qu’il faut aborder sans idéologie avec un seul objectif: celui d’offrir un emploi aux jeunes..

Des mesures sont également nécessaires pour supprimer les restrictions injustifiées à l’exercice des professions réglementées, développer le secteur des services et améliorer l’environnement réglementaire des entreprises, notamment en revoyant les critères de taille fixés dans la réglementation pour éviter les effets de seuils et aider les PME à grandir.

Enfin, nous devons simplifier notre système administratif en commençant par remédier au chevauchement de compétences et aux doublons entre les différents niveaux de l’administration. C’est une question de lisibilité pour les entreprises et les citoyens. C’est aussi une manière de réduire les coûts pour les finances publiques.

II - Ces réformes économiques doivent s’accompagner d’une réduction intelligente de la dépense publique.

La baisse de la dépense publique est aussi une réforme structurelle - en elle-même elle peut être source de croissance et de compétitivité si elle permet de dépenser moins et mieux.

Compte tenu des réformes économiques engagées, la France a obtenu en 2013 un délai supplémentaire de deux ans pour revenir sous la barre des 3% de déficit. Je veux rappeler qu’il ne s’agit pas tant d’une obligation à l’égard de « Bruxelles » que d’un engagement vis-à-vis de chaque Français et de nos partenaires européens.

Cet engagement doit être mis en œuvre de manière déterminée, pour tenir les objectifs en termes d’effort structurel, ce qui devrait être le cas pour 2013 et 2014. Le rapport de la Cour des Comptes publié hier doit encourager le gouvernement à la plus grande détermination pour tenir cet objectif.

Cet engagement doit aussi être mis en œuvre de manière sincère, ce qui nécessite de baser les objectifs de déficit nominal sur des prévisions de croissance plausibles, et jugées comme telles par le Haut conseil des finances publiques, dont je voudrais souligner l’utilité. Sa création constitue un vrai progrès pour la qualité et la transparence du débat sur les finances publiques.

Enfin, cet engagement doit être mis en œuvre de manière intelligente, en faisant porter l’ajustement sur la réduction des dépenses plutôt que sur de nouvelles hausses d’impôts.

Le collectif budgétaire de la semaine dernière va dans le bon sens, puisqu’il prévoit 1,6 milliard de baisse des dépenses supplémentaires, par rapport à la baisse équivalente déjà prévue dans le projet de loi de finances initiale.

Cet effort sur les dépenses de l’Etat doit être complété par un effort de maîtrise des dépenses sociales, qui représentent près de la moitié des dépenses du secteur public. Il faut plus de rigueur dans l’exécution de ces dépenses mais aussi des solutions nouvelles ; j’ai vu par exemple des pays mener une politique d’externalisation de certains soins avec succès, c’est-à-dire en maintenant la qualité des soins tout en baissant les dépenses.

L’effort doit aussi porter sur les dépenses locales : à terme, la réforme territoriale doit permettre de réaliser des économies en fusionnant ou en supprimant des échelons administratifs.

Sans attendre la mise en œuvre de cette réforme, il y a dès aujourd’hui des choses à faire pour réduire la dépense locale et introduire une véritable relation contractuelle entre l’État et les collectivités locales, notamment par le contrôle des dépenses des collectivités locales, y compris le plafonnement de l'augmentation annuelle de leurs recettes fiscales

D’une manière générale, l’effort mené sur la dépense n’interdit pas de toucher aux recettes ! Avec un taux de prélèvements obligatoires de 45,9%, la fiscalité française est l’une des plus élevées d’Europe. Elle est également complexe pour les entreprises et pour les ménages. Il faut plus de stabilité et moins de complexité. L'écart, chaque année croissant entre les prévisions de recettes fiscales et les recettes réelles, montre bien que ce système est à bout de souffle.

Il faut maintenant mettre la fiscalité au service de la croissance, notamment grâce à un allègement de la charge fiscale pesant sur le travail, surtout pour les bas salaires, et à un transfert de cette charge vers d’autres sources plus favorables à la croissance durable comme les taxes environnementales.

III - A côté de ces réformes internes, la France doit continuer à soutenir les mesures de compétitivité prises au niveau européen.

La France a un rôle essentiel à jouer au sein de l’écosystème européen pour créer au niveau européen les conditions de la compétitivité.

Au cours des dernières années, cela a tenu d’abord à tirer les leçons des crises financière, budgétaire, économique, sociale. La première nécessité a été de ramener la confiance et la stabilité financière en assainissant les bases de la croissance.

C’est le sens des efforts nationaux de consolidation budgétaire. C’est également le but des 41 textes de régulation financière que nous avons proposés, et pour la plupart fait voter, et de l’union bancaire que nous mettons en place. Tous ces réformes sont adoptées et nous devons veiller aujourd’hui à leur pleine mise en œuvre.

Nous devons en outre prendre garde aux nouveaux risques qui apparaissent dans le système financier, - je pense ici au secteur du « shadow banking » par exemple.

Il fallait aussi relancer le marché unique, qui a failli devenir une victime collatérale de la crise alors qu’il constitue le principal atout de l’Union européenne. Nous avons donc lancé l’Acte pour le marché unique, avec de nombreuses mesures pour renforcer la compétitivité de l’économie européenne, comme le brevet européen, l'établissement d'un marché unique numérique et la simplification des règles sur les marchés publics, notamment pour en faciliter l'accès aux PME.

Nous voulons aussi faciliter l’accès des entreprises et des particuliers aux financements, en calibrant les nouvelles règles prudentielles applicables aux banques, mais aussi en encourageant le développement d’autres acteurs, marchés ou techniques, pour combler les difficultés structurelles de financement de certaines entreprises, comme les start-up ou les entreprises sociales, ou plus généralement pour encourager l’investissement à long terme.

Mesdames et Messieurs,

Réformes structurelles ambitieuses, politique de réduction des dépenses et de réorientation de la fiscalité, soutien aux mesures européennes de compétitivité : voilà quels doivent être les trois volets d’une politique économique qui est à la fois possible et nécessaire pour la France.

À deux reprises, en tant que Commissaire européen, j'ai la chance de voir mon pays depuis Bruxelles, de le voir avec une certaine distance tout en y restant profondément attaché.

Mon expérience m’a montré à quel point la France a une place centrale en Europe. Elle est centrale sur les plans géographique, économique, écologique et bien sûr politique. Mais elle ne sait pas toujours utiliser cette centralité. C’est le cas à chaque fois qu’elle est se montre arrogante, trop hexagonale, nostalgique, ou encore incapable de se remettre en cause et de faire des réformes.

La France est encore espérée, même si elle n'est plus attendue, car l'Europe a besoin d'une France forte pour mener ses nouveaux défis : politique industrielle, indépendance énergétique, socle social et fiscal commun à la zone euro, défense politique étrangère.

La France, qui a souvent eu un rôle d’impulsion dans la construction européenne, doit continuer à soutenir ces avancées et à participer à leur mise en œuvre sur le terrain.

C’est en menant chez elle une stratégie de compétitivité par des réformes économiques et budgétaires courageuses que la France pourra jouer pleinement son rôle en Europe, et plaider efficacement pour une nouvelle ambition pour l’Union.

Merci pour votre attention.