Speech - Régulation financière: la dynamique de réforme engagée depuis 2010 doit être poursuivie

Met dank overgenomen van Europese Commissie (EC) i, gepubliceerd op dinsdag 10 juni 2014.

Commission européenne

[Seul le texte prononcé fait foi]

Michel BARNIER

Membre de la Commission européenne, chargé du Marché intérieur et des Services

Régulation financière: la dynamique de réforme engagée depuis 2010 doit être poursuivie

Audition devant la Commission des Finances du Sénat français

Paris, 10 juin 2014

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs les Sénateurs,

Merci pour cette nouvelle invitation qui s’inscrit dans le cadre du dialogue continu et utile que nous entretenons depuis 2010.

L’audition d’aujourd’hui est en quelque sorte l’aboutissement de ce dialogue, puisqu’elle doit nous permettre de dresser un premier bilan de ces quatre ans et demi passés à tirer les leçons de la crise financière et à remettre la finance au service de l'économie réelle.

Cette audition s’inscrit aussi dans un contexte bien particulier, celui d’une poussée de l'euroscepticisme en France, mais aussi au Royaume-Uni, au Danemark ou en Italie. Aujourd’hui plus que jamais, il me paraît utile de parler de régulation financière, qui est un bon exemple de la valeur ajoutée de l'action européenne.

Souvenons-nous de la situation lors de ma première audition devant votre Commission, en janvier 2011 : l'instabilité régnait sur les marchés ; certains épargnants craignaient à juste titre pour leurs économies ; la Zone Euro, c’est-à-dire le cœur de la construction européenne, menaçait d’exploser.

Soyons honnêtes, les responsabilités de cette situation étaient partagées : L'économie européenne a été soumise à un violent choc financier externe, venant des Etats-Unis. La Zone Euro se résumait à une union monétaire et dans une moindre mesure budgétaire. Nous avions été - Etats comme Commission - négligents en matière de régulation financière. Et au niveau national, des années de mauvaise gestion des finances publiques avaient réduit les marges de manœuvre disponibles.

Mais il est en tout cas clair que l'enchaînement sans précédent de crises financière, économique, budgétaire, sociale, a montré les limites d’une capacité de réaction principalement nationale.

Dans un monde financier globalisé, aucun régulateur national n’a seul la capacité d’encadrer les produits dérivés négociés de gré à gré, ou d’imposer des règles aux agences qui notent sa dette.

Et les réponses non coordonnées des superviseurs nationaux se révèlent généralement contreproductives. Ce fut le cas quand certains superviseurs ont demandé aux banques de cantonner leurs actifs dans les frontières nationales, limitant du même coup les possibilités de financements transfrontaliers des entreprises et des particuliers.

Il nous fallait donc agir ensemble, au niveau européen, et c'est ce que nous avons fait depuis 2010, avec beaucoup d’énergie et, je crois, de résultats.

Je ne vais pas prendre une par une les 40 législations européennes que nous avons proposées, et qui, pour la plupart, ont été adoptées.

Quelques exemples, néanmoins, permettent de mesurer le chemin parcouru depuis la crise :

  • La surveillance s’est révélée défaillante - A la suite du rapport remis par Jacques de Larosière, nous avons créé en 2011 trois autorités européennes fortes pour mieux réguler et harmoniser le contrôle des banques, des compagnies d’assurances et des marchés de valeurs mobilières, ainsi qu'un Comité européen du risque systémique.
  • Les banques se sont avérées sous-capitalisées - Avec "CRD IV", elles sont désormais obligées de détenir davantage de fonds propres, de meilleure qualité, pour mieux absorber les pertes qu'elles pourraient subir.
  • Les marchés dérivés, qui évoluaient dans un environnement opaque et en grande partie non régulé, sont soumis depuis début 2013 au règlement EMIR, qui les rend transparents, plus simples et plus sûrs.
  • Enfin, la crise a mis en évidence les graves conséquences d'une fragmentation du marché unique des services financiers en particulier pour les pays membres de la zone euro - Nous y remédions avec l’union bancaire, qui nous permettra de mieux détecter les risques, grâce à une supervision unique de qualité des banques, et de les affronter ensemble de manière ordonnée, en faisant appel aux actionnaires, aux créanciers et à un fonds unique de résolution financé par les banques plutôt qu’aux contribuables.

Mesdames et Messieurs les Sénateurs,

Je sais que vous avez suivi avec attention, mois après mois, ces travaux qui nous ont permis de mettre en œuvre le programme du G20 tout en consolidant la zone euro. Vous y avez d'ailleurs contribué à travers vos résolutions européennes, notamment sur l'union bancaire [ex : en février 2014, rapport de François MARC et résolution de Richard YUNG sur le mécanisme de résolution unique].

S'il fallait donner un chiffre, je dirais que nous avons réalisé 80% de l'agenda extrêmement ambitieux que nous nous étions fixé.

Mais le but de cette audition n'est pas de se féliciter mutuellement pour le travail accompli. Je voudrais au contraire vous dire quelques mots sur ce qu'il reste à faire, en distinguant trois points.

I - Tout d'abord, nous devons faire adopter les 20% restants de notre agenda de régulation financière.

Certains textes importants sont encore à l’état de proposition de la Commission. Nous avons fait notre travail. Il faut maintenant que les nouveaux députés européens et les Etats membres fassent le leur en se saisissant des dossiers, dès le début de la session parlementaire.

  • 1. 
    Je pense d'abord aux réformes de structure que j’ai proposées le 29 janvier dernier pour les 30 plus grosses banques européennes.

Si nos règles sur la transparence, la supervision, les fonds propres et la résolution devraient suffire à éviter une réédition de la crise financière dans la plupart des banques européennes, elles pourraient s'avérer insuffisantes pour ces 30 grandes banques, qui sont de fait « too big too fail ».

J’ai donc proposé d’interdire à ces banques les activités spéculatives les plus risquées et de donner au superviseur la possibilité de demander la filialisation des activités de marchés risquées.

Je sais bien que cette proposition va plus loin que certaines réformes nationales, et peut susciter des craintes. Mais nous avons pris très précisément en compte son impact sur les banques concernées.

  • 2. 
    Autre chantier qui reste pour l’instant à l’état de projet : nos initiatives sur le système bancaire parallèle.

Là aussi, il y a urgence : quelles leçons aurons-nous tirées de la crise si nous laissons prospérer à coté de certains acteurs mieux régulés et plus solides, des activités à risques? Nous risquons simplement de déplacer les risques en dehors de l'écran radar des superviseurs.

Cela étant dit, ce terme de shadow banking recouvre de nombreux domaines et de multiples acteurs. Certains sont directement utiles au financement de l’économie. D’autres sont plus proches de la spéculation. Certains sont de petite taille, d’autres d’importance systémique.

Il n’y a donc pas dans ce domaine de mesure unique mais un patient travail de supervision et de régulation pour identifier les zones de risques, celles où la transparence est insuffisante ou encore les pratiques qui fragilisent le système financier tout entier.

Ce travail est d’autant plus important que le secteur financier est aujourd’hui interconnecté. Il n’y a plus les banques et les assurances d’un côté et les hedge fund ou les fonds monétaires de l’autre. Mais des acteurs qui travaillent et négocient ensemble. De sorte que la défaillance de l’un peut avoir un impact sur tous.

C’est pour cela que cette tâche est si importante et qu’elle doit rester parmi les priorités du G20, qui doit prendre garde au risque d'un certain essoufflement sur la régulation financière en général. Il ne faut pas relâcher nos efforts, notamment dans le contexte actuel où les taux d’intérêt historiquement faibles et les liquidités abondantes peuvent inciter certains acteurs financiers à prendre plus de risques.

Pour autant et comme nous l’avons fait pour les autres secteurs, il faut aborder le sujet du shadow banking en tenant compte des sources alternatives de financement qu'il fournit à l'économie réelle.

C’est un équilibre délicat, que nous avons, je crois, trouvé avec notre proposition sur les fonds monétaires, dont nous voulons préserver le rôle important pour le financement à court terme des établissements financiers, des entreprises et des administrations publiques, en améliorant leur stabilité et leur profil de liquidité. [

  • 3. 
    Enfin, les co-législateurs doivent se saisir au plus vite de notre proposition sur les indices de référence.

Les cas de manipulation d’indices comme le Libor et l’Euribor ont eu un impact direct et concret sur les taux de contrats souscrits par les entreprises et les particuliers, comme les crédits hypothécaires à taux variables ou les intérêts liés aux paiements par cartes de crédit.

Ils montrent bien la double nécessité de terminer le travail de régulation engagé depuis la crise tout en restant en permanence en alerte face aux nouveaux risques, qui ne sont pas théoriques.

II - Il faut ensuite mettre en œuvre nos réformes - tâche parfois ingrate et technique mais indispensable !

Nous devons veiller à la bonne application de chacun de nos textes, en commençant par adopter les actes délégués de nos réformes CRD4 et Solvabilité 2, pour qu’ils contribuent véritablement à accroître la stabilité, la transparence et la responsabilité.

Dans cette phase de mise en œuvre, il n'est pas exclu que nous découvrions les lacunes de tel ou tel texte. Nous devons nous y préparer, et être capables de revoir à la hausse le niveau d'ambition de certains accords politiques.

Nous verrons par exemple dans les années qui viennent si des textes d'effets équivalents aux nôtres ont été adoptés par nos partenaires, par exemple sur la régulation des fonds à effets de levier (hedge funds), qui est un sujet important dans le contexte d'abondance de liquidités dont j'ai parlé.

L'expérience nous dira également si les mesures que nous avons prises pour accroître l’accès au marché dans certains secteurs, comme celui de l'audit - où la période de rotation de 6 ans proposée par la Commission a été étendue à 10 ans par les co-législateurs - ont produit leurs effets, ou si elles doivent être complétées.

Il en va de même dans le secteur des agences de notation, où nous devrons également évaluer l'impact des nouveaux pouvoirs confiés à ESMA, qui vient d'en faire usage en sanctionnant l'agence Standards & Poor's pour avoir annoncé par erreur la dégradation de la note française en novembre 2011.

Là où des lacunes apparaîtront, nous devons être prêts à ajuster nos textes. C'est d'ailleurs pour parer à cette éventualité que nous avons prévu de nombreuses périodes transitoires et clauses de revues. Il ne faudra pas hésiter à les faire jouer en cas de besoin.

III - Enfin, nous devons rester attentifs à l'impact de nos réformes sur la croissance et le financement de l’économie.

La revue économique de l’agenda de régulation financière, que nous avons publiée le 15 mai dernier, a le mérite d’examiner la cohérence et l’impact global de notre réponse à la crise financière.

S’il est trop tôt pour tirer des conclusions définitives sur cet impact, l’étude démontre que nos réformes permettront de renforcer la stabilité financière, de réduire la probabilité et la gravité des futures crises et d’améliorer l’efficacité et l’intégrité des marchés financiers ainsi que l’intégration financière en Europe.

Prises ensemble, nos réformes devraient donc contribuer à restaurer la confiance dans le système financier et à améliorer l’allocation du capital en Europe, deux conditions pour faire revenir la croissance sur notre continent.

Pour autant, ces deux conditions ne sont pas suffisantes.

Nous devons les accompagner de réformes de compétitivité, au niveau national - c'est le but des recommandations à chaque pays européen qui ont été proposées par la Commission la semaine dernière, et qui portent sur les enjeux économiques autant que budgétaires - mais aussi au niveau européen. Nous avons progressé sur ce point depuis 2010 avec les mesures de l'Acte pour le marché unique, comme le brevet européen, l'établissement d'un marché unique numérique et la simplification des règles sur les marchés publics, notamment pour en faciliter l'accès aux PME.

Nous devons aussi permettre aux Européens et aux entreprises d'avoir accès aux financements dont ils ont besoin pour leurs projets.

Voilà pourquoi nous avons minutieusement calibré les nouvelles règles prudentielles applicables aux banques, qui ont un rôle essentiel à jouer dans la reprise.

Voilà également pourquoi nous encourageons le développement d’autres acteurs, marchés ou techniques, pour combler les difficultés structurelles de financement de certaines entreprises, comme les start-up ou les entreprises sociales, ou plus généralement pour encourager l’investissement à long terme.

C’est ce que nous avons fait en créant les fonds européen de capital-risque et d’entrepreneuriat social, qui sont opérationnels depuis juillet 2013, et en proposant la création du fonds européen d’investissement à long terme.

Avec la feuille de route sur le financement de long terme, que nous avons publiée le 27 mars dernier, nous voulons aller plus loin, en ne négligeant aucune piste, qu’elle concerne le rôle croissant à donner aux investisseurs institutionnels et aux marchés financiers, la recherche de nouvelles formules de financement, comme le crowdfunding, ou encore la titrisation de bonne qualité.

Il n'est pas question d'oublier les risques liés aux instruments de titrisation lorsqu’ils sont insuffisamment régulés. C’est pour remédier à ces faiblesses, que des mesures législatives fortes ont été adoptées en Europe [règles de rétention des risques, transparence accrue, encadrement des agences de notations]. Toutefois, et dans ce cadre assaini, un marché actif et bien régulé de la titrisation peut permettre de favoriser l’octroi de nouveaux prêts bancaires à « l’économie productive » et donner la possibilité à des investisseurs institutionnels de financer des emprunteurs de petite ou de moyenne tailles auxquels ils n’auraient pas accès autrement.

Mesdames et Messieurs les Sénateurs,

Adoption des quelques textes importants qui restent sur la table des co-législateurs, mise en œuvre et amélioration éventuelle des textes votés, étude de l'impact de notre programme de régulation sur la croissance : ces trois points montrent que le grand mouvement de réforme que nous avons engagé il y a 4 ans et demi ne doit pas s'arrêter.

Pour cela, à côté des institutions européennes et des Etats membres, il me paraît important que les Parlements nationaux restent vigilants, et s'impliquent sur le fond des dossiers comme vous l'avez fait depuis 2010, à travers vos votes, vos résolutions et les auditions comme celle d'aujourd'hui.

Je pense aussi que les députés et les sénateurs devraient s'engager, avec les partenaires sociaux, les associations, les Eglises, les universités, dans un grand débat sur l'avenir de l'Europe et le projet de la France pour l'Union. N'oublions pas le résultat des élections européennes, il y a seulement deux semaines ! Et n'attendons pas 5 ans pour reparler d'Europe !

Ce débat que j'appelle de mes vœux doit nous permettre de nous poser la question de la valeur ajoutée européenne, en identifiant d'une part les domaines dans lesquels l'action politique est plus efficace au niveau national ou régional, et d'autre part les quelques domaines prioritaires, dans lesquels nous devons agir au niveau européen pour rester libres dans le monde de demain, comme la politique industrielle, l'énergie, le numérique ou la défense.

Je vous remercie pour votre attention, et je suis à votre disposition pour dialoguer.