Toespraak eurocommissaris Frattini (justitie) over ontwikkelingen in Europees rechtsprincipes (fr)

Met dank overgenomen van Europese Commissie (EC) i, gepubliceerd op dinsdag 13 november 2007.

SPEECH/07/709

Franco Frattini

Vice-Président chargé de la Justice, Liberté et Sécurité

"Intervention devant la Cour de Justice"

Cour de Justice

Luxembourg, 12 Novembre 2007

Au cours des 50 dernières années, nous avons ensemble ouvré pour réaliser l'objectif premier fixé par les pères fondateurs - à savoir maintenir la paix en Europe et reconstruire sa prospérité économique -, tout en assurant la cohésion sociale et la solidarité entre ses membres. Nous avons également réussi à élargir progressivement cet espace de paix et de prospérité à des Etats que l'Histoire avait maintenu écartés de la construction Communautaire. Notre Europe est aujourd'hui une Communauté de droit forte de 500 millions de citoyens.

Mais évidemment l'aventure européenne ne s'arrête pas là et, même ce qui semble acquis, ne l'est pas forcément. Nous devons répondre aux questions et aux préoccupations des citoyens, agir en ce sens et essayer de leur donner confiance dans l'avenir. Le nouveau Traité devrait nous y aider.

Le développement de l'espace de liberté, de sécurité et de justice

Les domaines qui relèvent de ma compétence sont au cour même des préoccupations de nos concitoyens. La migration, la sécurité, la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée, mais aussi le respect des droits fondamentaux dépassent le seul cadre national et requièrent une coopération au niveau européen. Toutes les enquêtes et sondages "Eurobaromètres" le confirment.

Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si depuis quelques années, à peu près une initiative législative sur cinq concerne l'espace de liberté, de sécurité et de justice.

Ainsi, en octobre, j'ai présenté deux propositions de Directive importantes en matière de migration légale: l'une définissant les droits minimaux des immigrés admis dans l'Union, l'autre prévoyant un cadre légal de l'Union pour l'admission de ressortissants de pays tiers hautement qualifiés afin de redonner du dynamisme à l'économie européenne.

En novembre, j'ai fait adopter un paquet de mesures qui vont doter l'Union d'outils essentiels dans la lutte contre le terrorisme. Il s'agit notamment d'une proposition de modification de la décision-cadre sur le terrorisme qui nous permettra de faire face à l'utilisation d'Internet par les terroristes ; d'une proposition sur le développement d'un système européen d'enregistrement de nom des passagers (Passengers Name Records-PNR) ; et d'un Plan d'action sur les explosifs.

Ce ne sont que quelques exemples, mais il faut noter que les développements dans le secteur de la liberté, de la sécurité et de la justice sont d'autant plus remarquables si l'on considère la relative jeunesse de ces politiques dans l'Histoire de l'intégration européenne. Il a fallu attendre le Traité de Maastricht pour voir mentionné dans les Traités - et encore ne s'agissait-il que de simples "questions d'intérêt commun" pour les Etats membres - la politique d'immigration et d'asile, la politique de franchissement des frontières, la coopération policière, ainsi que la coopération judiciaire civile et pénale.

Le nouveau Traité

Et les développements à venir seront tout autant remarquables à l'aube du nouveau Traité.

Personnellement, je suis convaincu que ce Traité, qui doit encore être ratifié, nous permettra de mieux répondre aux attentes de nos concitoyens et de développer de façon optimale nos politiques communes. Et cela même s'il comporte quelques reculs par rapport au projet de Constitution et si un certain nombre d'ajustements ont été nécessaires pour parvenir à un consensus.

Les avancées

On doit d'abord se féliciter de la valeur contraignante équivalente au Traité enfin reconnue expressément à la Charte des Droits Fondamentaux de l'Union européenne. Je salue à cet égard l'ouvre visionnaire d'un certain nombre d'avocats généraux ici présents qui avaient appelé à anticiper cette reconnaissance.

C'est également d'une certaine façon à votre institution que l'on doit la reconnaissance expresse de la possibilité pour l'Union européenne d'adhérer à la Convention Européenne des Droits de l'Homme.

Cette base juridique ne figurerait probablement pas dans le nouveau Traité si vous n'en aviez pointé la lacune à l'occasion de votre Avis 2/'94. D'une certaine manière, la Cour de justice est appelée a devenir, dans le domaine des droits fondamentaux, la Cour suprême de l'ordre juridique communautaire.

Mais c'est à l'égard du "3ème pilier" actuel que le nouveau traité apporte les bouleversements les plus profonds.

Tout d'abord, la structure en piliers sera abolie. Il faut s'en réjouir. Cette abolition ne sera pas seulement source d'amélioration de la lisibilité de nos politiques, elle mettra également un terme aux éternels débats de détermination de la base juridique que votre Cour aurait été invité à arbitrer dans un nombre croissant d'hypothèses.

La coopération policière et judiciaire pénale fait l'objet d'une quasi "communautarisation" au titre du nouveau Traité, sous réserve de quelques ajustements (emergency brake, droit d'initiative partagé etc.). L'extension de la procédure démocratique de codécision - Vote à la Majorité Qualifiée et Parlement européen comme co-législateur - s'accompagnera de la mise en place d'un mécanisme destiné à faciliter les coopérations renforcées entre les Etats désireux d'aller de l'avant.

L'unanimité, actuellement applicable, nous a plus d'une fois conduit à réduire nos ambitions initiales au plus petit dénominateur commun. Je pense à cet égard à la décision-cadre sur la lutte contre le racisme et la xénophobie, dont la plus value est questionnable. Plus souvent encore, l'unanimité s'est révélée une source de blocage quasi-insurmontable: les discussions sur la décision-cadre sur les droit procéduraux en matière pénale sont emblématiques à cet égard.

Les compromis nécessaires pour parvenir à réunir l'unanimité sont souvent synonymes d'une législation de mauvaise qualité, truffée de ce que l'on appelle par euphémisme des "ambigüités constructives", source potentielle de questions préjudicielles en interprétation.

C'est donc peu dire que je me réjouis du passage au vote à la majorité qualifié de ces matières, même si je pressens quelques difficultés de délimitation à l'égard de la coopération policière opérationnelle pour laquelle l'unanimité perdure.

Je voudrais ici ajouter un mot sur les avantages de la procédure de codécision : certains craignaient, lorsque cette procédure a été élargie en janvier 2005, qu'elle aurait entraîné des blocages et que le Parlement européen n'aurait pas été « à la hauteur », pour ainsi dire, de ses responsabilités de co-législateur dans ces domaines.

Et bien, je dois vous dire que, au contraire, la procédure de codécision a donné une impulsion forte à notre activité législative, et que dans la plupart des cas, il a été possible d'aboutir à des textes très équilibrés dans un délai raisonnable, en première lecture. Je pense, par exemple, au Règlement qui a établi le "Code des frontières", à la Directive sur la rétention des données, ou bien aux instruments législatifs relatifs au Système d'Information Schengen (SIS II).

Autre avancée significative: il n'y aura plus d'instruments législatifs spécifiques dans les domaines "3ème pilier". Les positions-communes, décisions-cadres et conventions si peu familiers aux praticiens laisseront la place aux règlements, directives et décisions.

Enfin, la Commission et la Cour de Justice retrouveront - à terme - la plénitude de leurs prérogatives institutionnelles. "Gardienne des Traités" pour la première, et contrôle juridictionnelle pour la seconde, conformément à la « méthode communautaire », en matière de coopération policière et judiciaire pénale. Les carences, parfois flagrantes (10 ans pour la ratification d'un simple protocole à une convention!!!) jusqu'ici constatées dans la mise en ouvre du troisième pilier pourront donner lieu à des procédures en manquement devant votre Cour. Il s'agit là d'une avancée déterminante, même si - et j'y reviendrai - un régime dérogatoire particulièrement malheureux a été mis en place avec 5 ans de "moratoire".

Les ajustements nécessaires

Comme je le mentionnais tout à l'heure, certains ajustements ont été nécessaires en contrepartie de ces avancées majeures. L'emergency brake a été un des prix à payer - déjà inscrit dans la Constitution - au passage en vote à la majorité qualifié pour la coopération en matière pénale. Un Etat membre qui estimerait qu'une proposition législative porterait atteinte aux principes fondamentaux de son système juridique, pourra saisir le Conseil européen avec pour effet de suspendre la procédure lorsqu'elle est applicable.

Le Royaume Uni, l'Irlande et le Danemark resteront en dehors de l'ensemble du titre sur l'espace de liberté, de sécurité et de justice - au-delà des matières du seul titre IV TCE - comme c'est le cas dans les traités actuels. Bien que les deux premiers disposeront d'une possibilité d'opt-in, ces Etats ne participeront donc plus systématiquement à des actions auxquelles ils étaient pleinement associés jusqu'alors.

Ceci - on ne saurait le nier - va certainement accroître la complexité juridique dans nos domaines, même si nous sommes habitués à gérer les différents opt in et opt out déjà prévus dans les traités actuels suite à l'intégration de l'acquis de Schengen et à la communautarisation de certaines matières avec le Traité d'Amsterdam. Il n'en reste pas moins que les conséquences que pourraient avoir une éventuelle non participation de certains Etats membres dans certains actes spécifiques devront être attentivement évaluées.

D'un côté, je souhaite évidemment que le Royaume Uni, l'Irlande et le Danemark ainsi que tous les Etats membres, participent aux initiatives et politiques communes. D'un autre, je ne souhaite pas renoncer bien évidemment aux avancées nécessaires. Le recours aux coopérations renforcées se révèle d'ailleurs une alternative dont l'enclenchement sera facilité avec le nouveau Traité.

Un élément apparu au cours des dernières négociations me préoccupe davantage. Il concerne les mesures transitoires portant sur la compétence de votre Cour à l'égard de l'acquis "3ème pilier" et affaiblit singulièrement les effets positifs de l'abolition de la structure en piliers.

Je considère l'absence d'une compétence immédiate, pleine et entière de votre Cour dans les domaines de la coopération policière et judiciaire pénale très regrettable. J'ai toujours estimé qu'il s'agissait là de l'une des cause, et pas des moindres, de la mauvaise application au niveau national de la législation de l'Union dans ces domaines.

Cela est d'autant plus regrettable que je considère que la Cour joue un rôle essentiel dans les développements du secteur de la Justice, de la Liberté et de la Sécurité.

La Jurisprudence de la Cour

Votre Cour a déjà contribué de façon unique au développement des matières "communautarisées" de l'espace de Justice, Liberté et Sécurité.

En matière de Justice civile, vous avez rendu quelques 150 décisions préjudicielles assurant l'interprétation uniforme de la Convention, puis du Règlement "Bruxelles I" concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale.

Votre jurisprudence a été, sans doute, l'une des "clés" du succès de la Convention et du Règlement. A tel point qu'elle fait même autorité auprès de juridictions non communautaires, telles celles des Etats de la Convention de Lugano.

Malheureusement, et je le regrette, lorsque la Convention de Bruxelles I a été reformatée en Règlement, le bénéfice du mécanisme préjudiciel a été réduit aux juridictions de dernier degré. C'est un recul pour le justiciable, puisque le dialogue si précieux du juge de "droit commun" avec votre Cour est rompu. Nous attendons que la situation se modifie à l'avenir avec le nouveau traité et que, dans le domaine de la Justice civile votre compétence préjudicielle soit alignée sur celle, de droit commun, de l'article 234 du Traité.

Toujours en matière de Justice civile, je salue votre avis 1/03 de février de cette année, qui marque la fin d'une longue série de disputes entre la Commission et le Conseil en matière des relations externes, au titre duquel vous reconnaissez une compétence exclusive de la Communauté sur la Convention de Lugano. C'est votre Jurisprudence qui m'a permis de signer la nouvelle Convention de Lugano.

Dans le domaine de la libre circulation des personnes, le développement récent le plus important a été l'entrée en vigueur de la directive 2004/38 relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres. Cette directive codifie non seulement un corps législatif très complexe - qui est aujourd'hui d'une actualité particulière - mais aussi une jurisprudence très riche de votre Cour.

En effet, vous avez rappelé à plusieurs reprises que le droit de séjourner librement sur le territoire des Etats membres découle directement de l'article 18 du Traité instituant la Communauté européenne, et souligné la nécessité d'interpréter le droit à la libre circulation à la lumière des droits fondamentaux et notamment du droit au respect de la vie familiale et du principe de proportionnalité.

Le contrôle de la mise en ouvre correcte de cette directive est donc une priorité absolue. La Commission a déjà ouvert 19 cas d'infraction pour non-communication des mesures nationales d'exécution, dont 4 ont déjà été référés à votre Cour.

C'est également à une phase de mise en ouvre que nous nous attaquons en matière de visas, asile et immigration. 14 directives ont été adoptées ces dernières années. Ma priorité est de veiller à une application efficace au plan national.

Votre jurisprudence est également en train de se révéler déterminante au développement de la coopération policière et judiciaire en matière pénale.

Après vos premières décisions portant sur l'interprétation du principe fondamental du "ne bis in idem", dans votre Arrêt Pupino, de Juin 2005, vous avez clarifié la portée juridique des instruments adoptés dans le cadre du "3ème pilier". En appliquant le devoir de loyauté et l'obligation d'interprétation conforme prévue à l'article 10 TCE en la matière, vous avez, par cet arrêt, renforcé l'effectivité de l'espace pénal européen.

La même année, vous avez reconnu la compétence de la Communauté pour imposer l'adoption de mesures pénales pour la protection de l'environnement, si nécessaire pour assurer la mise en ouvre efficace de cette politique, en annulant la décision-cadre relative à la protection de l'environnement par le droit pénal.

Vous avez confirmé cette interprétation le 23 Octobre dernier en annulant la décision-cadre visant à renforcer le cadre pénal pour la répression de la pollution causée par les navires. En revanche, et malheureusement, le cadre juridique actuel ne vous a pas permis de reconnaître comme étant de la compétence communautaire la détermination du type et du niveau de sanctions pénales.

Je dis malheureusement parce que les législations nationales sont assez disparates à l'heure actuelle, ce qui conduit à une grande hétérogénéité dans la protection pénale. Je dois par ailleurs constater à cet égard que 19 Etats membres sont intervenu dans cet affaire pour contester un principe au quel ils ont pleinement souscrit en signant le texte de la Constitution et en acceptant le Traité simplifié.

La situation actuelle est d'autant plus anachronique par rapport à votre jurisprudence qu'un tiers des Etats Membres ne reconnait toujours pas à ses propre juges la possibilité de vous interroger par voie préjudicielle et qu'à l'avenir certains Etats membres, bénéficiaires d'un opt-out, pourront échapper à votre contrôle.

Je reste néanmoins convaincu que, comme c'est le cas pour la Cour EFTA, vos décisions iront s'imposer dan toute l'Union et seront de facto respectées aussi par les magistrats des États qui se sont sur ce point positionnés hors du cadre communautaire.

Procédure préjudicielle d'urgence

Permettez-moi de terminer mon intervention en soulignant encore votre rôle précieux dans le dialogue avec les juges de droit commun.

Ce dialogue doit être encouragé, surtout dans des domaines aussi sensibles pour nos concitoyens que ceux que j'ai évoqués. Vous avez consenti des efforts significatifs pour réduire les délais. Il reste qu'une moyenne de près de 20 mois pour obtenir une interprétation dans une situation d'urgence de reconduite à la frontière par exemple, n'est tout simplement pas tenable pour un magistrat, et le contraint de ce fait à renoncer à engager un dialogue avec votre juridiction.

Vous avez formulé des propositions en vue d'une procédure d'urgence pour certaines demandes de décision préjudicielle relatives à l'espace de liberté, de sécurité et de justice. Elles sont actuellement discutées dans les enceintes du Conseil.

J'appelle de mes voux un accord rapide sur cette procédure d'urgence pour rendre accessible à toutes les juridictions de l'Union une appréhension uniforme de l'espace de liberté, de sécurité, de justice.

Il ne faudrait jamais oublier que s'il est certainement vrai que les juges nationaux sont les premiers juges communautaires, il est également vrai que votre Cour est, à son tour, le "premier" juge national pour l'importance et l'efficacité "directe" que ses arrêts peuvent revêtir dans le cadre juridique interne de chaque Etat membre.

Il faudra donc tout mettre en ouvre pour étendre votre juridiction à l'entièreté des 500 millions de citoyens qui peuplent aujourd'hui notre espace de Liberté, Sécurité et Justice.