Michel Barnier, Intervention devant la 4ème conférence des présidents de régions Conférence des présidents de régions à pouvoir législatif

woensdag 12 november 2003

Monsieur le président Schausberger

Mesdames et Messieurs les présidents,

Chers amis,

Comme je m'y étais engagé l'année dernière auprès du Ministre-Président Schausberger, je m'efforce de ne jamais manquer votre grande conférence annuelle. J'étais parmi vous à Liège, en 2001, sous la présidence de Jean-Claude van Cauwenberghe ; comme à Florence, en 2002, aux côtés du Président Claudio Martini. Et cela me permet de mesurer avec vous le chemin parcouru ces deux dernières années. Franchement, ensemble, nous avons marqué des points et fait « bouger les lignes », grâce à la Convention.

Votre projet de déclaration reflète ces progrès. Mais avant d'entrer le détail, permettez-moi d'adresser quelques remerciements.

Nous étions quelques-uns, au sein du Praesidium de la Convention aux côtés de Valéry Giscard d'Estaing, à avoir de l'ambition pour les régions. Mais nous savions que cette question était politiquement si sensible que nous ne passerions que sur un fil étroit. Et je veux remercier tous ceux avec qui nous avons réussi, dans un effort collectif, à « tendre ce fil » sur lequel la Convention a progressé :

  • le comité des Régions, son président Albert Bore et ses observateurs au sein de la Convention, parmi lesquels vous avez pu compter sur les présidents Claudio Martini et Patrick Dewael ;

  • les nombreux parlementaires européens et nationaux qui ont bien voulu appuyer, par leurs interventions, la ligne commune que je proposais lors du débat crucial de la Convention sur la dimension régionale, le 7 février dernier ;

  • et bien entendu les grandes associations européennes représentatives des collectivités territoriales, dont vous avez été le véritable fer de lance.

Le projet de Constitution apporte, en effet, des réponses à des questions que nous avions soulevées depuis longtemps.

Premier progrès : la Constitution comporte à l'article I-5 une clause garantissant le respect de la structure constitutionnelle de chaque Etat membre, « y compris en ce qui concerne l'autonomie locale et régionale ».

C'est un point fondamental. Car en l'absence de tout consensus entre les Etats membres sur le traitement du fait local et régional à l'échelle européenne, cette clause permet aux Etats les plus ambitieux de faire participer aussi loin qu'ils le souhaitent leurs collectivités territoriales à la construction européenne.

L'actuel article 203 du traité, qui a permis par exemple à des régions de présider le Conseil, doit être la matrice de nouvelles avancées. Il y a là la possibilité d'un « jeu de rôle » utile entre l'Etat et la région, qui permet aux deux parties de mieux se comprendre et de se faire confiance.

Deuxième progrès : nous disposons désormais d'un véritable cadre de régulation des conflits de compétence éventuels entre l'Union et les collectivités territoriales.

D'abord parce que les compétences de l'Union sont désormais clairement identifiées et répertoriées.

Ensuite, parce que le respect de la subsidiarité va être mieux vérifié, avec pour chaque acte une « fiche subsidiarité » dans laquelle la Commission évaluera l'impact réglementaire et financier pour les autorités régionales et locales.

Enfin, parce qu'à côté de la surveillance politique de la subsidiarité, qui incombera aux parlements nationaux, vous aurez les moyens de la vigilance juridictionnelle.

Certes, elle ne vous incombera pas directement, et je connais votre regret sur ce point. Vous aurez le choix de saisir soit votre Etat, soit le Comité des Régions. Mais il me semble que c'est déjà un progrès.

D'une part, parce que les Etats sont de plus en plus coopératifs dans ce domaine : je pense par exemple à la loi italienne du 5 juin 2003, qui a ouvert la porte de la justice communautaire aux régions italiennes.

D'autre part, parce que le Comité des Régions peut être votre avocat en cas de blocage. Il y a là une grande chance de renouveau entre vous et le Comité. Organisez ce lien juridictionnel. Mettez-le au service de la défense de la subsidiarité pour toutes les autres collectivités territoriales, y compris celles qui sont au-dessous de la région. En un mot, mutualisez ce nouveau pouvoir !

Troisième progrès : la cohésion territoriale.

Nous l'avions rêvé ; la Convention l'a fait. Après des années de progrès dans la cohésion économique et dans la cohésion sociale, la dimension territoriale de cette politique est enfin consacrée.

Elle est consacrée de la façon la plus solennelle, en apparaissant dès l'article 3 de la Constitution, au coeur des objectifs de l'Union européenne.

Elle est également consacrée de la façon la plus opérationnelle, puisque la cohésion territoriale entre dans le champ des compétences partagées de l'Union.

Le troisième rapport sur la cohésion que je présenterai dans quelques semaines sera ainsi le premier véritable rapport sur la cohésion économique, sociale et territoriale. Ce qui veut dire que nous acceptons collectivement de prendre en compte l'objectif du développement équilibré de l'ensemble du territoire européen, pour que toutes les régions, quels que soient leurs spécificités et leurs handicaps permanents, aient un accès égal au développement économique. Ce qui veut dire que la Commission proposera que toutes les régions européennes puissent, d'une manière ou d'une autre, être partenaires du projet européen plutôt que d'en être spectatrices.

Quatrième progrès : la consultation précoce en matière législative.

Je sais que sur ce point, le projet de Constitution et son « protocole subsidiarité », qui prévoit des consultations avant l'adoption de tout acte législatif, vous a un peu laissé sur votre faim.

C'est pourquoi je veux vous dire mon ambition d'aller plus loin, dès maintenant, dans le droit fil du Livre Blanc sur la gouvernance adopté par la Commission en juillet 2001.

Ainsi, la Commission adoptera avant la fin de cette année un document établissant les modalités d'un dialogue permanent et systématique avec les associations de collectivités territoriales sur l'élaboration des politiques. Ce document, qui vous a été soumis pour consultation au printemps, tiendra pleinement compte des nombreuses et globalement très favorables contributions que j'ai reçues à son sujet. Il a, d'ores et déjà, reçu le soutien de tous les services compétents de la Commission.

Ma volonté est d'établir entre nous un dialogue plus structuré et plus régulier. Les régions ont des choses à dire dans beaucoup de domaines de compétence de l'Union européenne. Pas dans tous, probablement. Mais dans une majorité d'entre eux, certainement. Sans parler, naturellement, du rôle essentiel qui est celui de vos régions pour mettre en ouvre la législation communautaire.

Voilà pourquoi, au moment de la maturation et de la réflexion, nous avons besoin de vous. Je compte beaucoup sur cette nouvelle étape du dialogue Union/régions, dont le Comité des Régions sera certainement le maître de cérémonie, pour enrichir notre réflexion mutuelle. C'est en tout cas l'état d'esprit qui fut le mien lorsque, il y a trois ans, j'ai lancé le débat sur l'avenir de la politique de cohésion avec vos régions et tous les acteurs concernés, alors qu'aucune obligation ne m'en était faite.

J'ai parlé des progrès de la Convention. Il y eut également quelques regrets, comme par exemple l'absence d'un fondement juridique pour la coopération transfrontalière ou encore l'absence de mention vous concernant dans les articles de la première partie consacrés à la démocratie. Ce n'est pas faute de l'avoir demandé, croyez-le bien.

Désormais, il nous reste quelques semaines à peine pour ajuster, clarifier et si possible améliorer ce texte constitutionnel avec les gouvernements qui en sont saisis dans la CIG.

Quelques semaines pour en préserver l'équilibre, la force et la dynamique issus d'un vrai travail en commun.

Quelques semaines surtout pur que "l'esprit européen", qui est bien différent d'un esprit international, continue d'inspirer ceux qui ont entre leurs mains l'avenir de l'Union.

Je vous remercie.